Note de Denise Silber :
J’ai lu le billet publié en juillet, 2017 sur le blog de l’Institut Montaigne, « Lutte contre les déserts médicaux, va-t-on enfin développer la télémédecine ? » Puis, en septembre, 2017, la relation entre le numérique et les déserts médicaux a également fait l’objet d’une grande rencontre initiée et organisée par un citoyen, Guillaume de Durat. Cette rencontre était les Universités d’été des déserts médicaux et numériques 2017, auxquelles j’ai eu le plaisir de participer, en Auvergne, à la limite de la Bourgogne…des endroits où le signal digital n’est pas toujours au rendez-vous.
En effet, la télémédecine a été inventée il y a plus de 40 ans, pour pallier l’absence de médecins (sur les champs de bataille, dans l’espace, dans les prisons). La racine du mot veut dire « à distance, » mais les besoins et possibilités de la télémédecine dépassent largement le problème de la grande distance en 2017.
L’exercice de la médecine est désormais un travail d’équipe multi-disciplinaire, impliquant plusieurs professionnels spécialisés. Le suivi des maladies chroniques se doit d’être permanent. La collaboration du patient et de ses proches, où qu’ils soient, est devenu essentiel. Le passage du patient entre hôpital et ville doit s’effecteur sans heurts. Dans tous ces cas, la télémédecine a sa place. Médecine et télémédecine sont maintenant quasi-synonymes.
Or associer la télémédecine de manière prioritaire aux déserts médicaux, risque de lui « coller » l’image d’un outil inférieur, à déployer quand on ne peut pas faire autrement. D’autre part, il faut d’abord assurer l’accès au numérique dans les régions ciblées.
C’est pourquoi, il faudrait commencer par modifier les bonnes pratiques de la médecine, pour tenir compte des améliorations que seules le numérique peut faciliter. Or, comme nous le rappelle Guillaume de Durat, « tant que les médecins continueront de craindre la télémédecine comme un concurrent, la télémédecine n’avancera pas. »
Si nous regardons où la télémédecine est bien développée dans le monde, ce n’est pas la pénurie de médecins qui a déclenché l’usage. Ce n’est pas non plus le remboursement d’actes individuels de télémédecine qui a déclenché sa diffusion, comme on l’entend souvent en France. Le remboursement d’actes individuels de télémédecine augmentera le nombre d’actes, sans pour autant rendre le système plus efficient.
Où est-ce que la télémédecine est utilisée efficacement, de façon innovante, et à large échelle ? C’est le cas des systèmes de santé connus pour l’évaluation de la qualité des soins, comme de la prévention, et de la bonne gestion. Ils associent hôpital et ville dans une structure de gestion, avec un seul payeur, et la région a accès à une télécommunication suffisante.
En Espagne, des téléservices sont utilisés, pour assurer une meilleure intégration des services publiques médicaux et sociaux.
En Israel, les assureurs / établissements de soins (HMO) utilisent la télémédecine pour rendre plus efficient le suivi des patients chroniques, pour éviter la visite inutile aux urgences ou pour remplacer la visite pour un renouvellement d’ordonnance et d’autres actions qui n’ont pas besoin d’une rencontre. Au fur et à mesure de l’arrivée de nouveaux objets connectés, la visite à distance est de plus en plus riche.
Aux Etats-Unis, les Veterans, un système public, a introduit la télémédecine il y a 20 ans, quand ils sont passés à la capitation et à l’octroi d’un budget a priori par profil de patient et diagnostic. Pour réussir à soigner un insuffisant cardiaque avec le budget donné, le VHA a déployé de la télémédecine basique, chez tous les patients, en complément, une télémédecine gérée par les infirmiers. Au fil des années, les outils se sont sophistiqués et aujourd’hui le VHA bénéficie d’un département de « santé connecté ».
Chez Kaiser Permanente, après avoir testé puis systématisé l’usage du courriel éléctronique pour faire gagner du temps au professionnel et au patient, Kaiser réinvente la consultation. La télémédecine n’est pas utilisée en cas de pénurie, ni pour dupliquer une consultation classique mais en présence du médecin traitant, pour relier divers absents (famille, aidants, spécialistes et autres personnes de l’équipe médicale).
La grande chaine de pharmacie, Walgreens, utilisent un « télé-chat » instantané entre patients et pharmaciens 24/7 pour apporter des conseils, notamment sur le bon usage des produits, mais aussi sur la prévention. Ces pharmaciens sont des professionnels qui tournent entre la pharmacie et le post de chat virtuel, pour ne pas perdre la connaissance des pharmacies.
Au total, les services numériques permettent de repenser et d’améliorer l’organisation du système de santé en combinant rendez-vous physiques et téléservices sur tout le territoire. Nous ne manquons pas d’exemples pilotes qui marchent. Mais ce ne sera pas possible sans modifier le modèle économique, non pas pour simplement rembourser les actes de télémédecine, mais pour introduire une réelle logique de prévention et de suivi.